Mais à quoi peut bien servir Bab’ill à part d’accueillir des enfants ? Ou petite histoire de mixité sociale et culturelle.

- «…et vous êtes placés où exactement ?… » me dit cette maman, que j’ai au téléphone, à la recherche d’un accueil pour sa petite fille.

- « …à l’est de Mulhouse, peu avant Illzach… » Le silence se fait sur la ligne, un moment...

 - «…le quartier Drouot ?… », me questionne une voix qui exprime quelque peu l’appréhension. Cette jeune maman m’expose alors sa déception d’avoir eu une réponse positive à sa demande d’accueil et qu’elle soit, malheureusement, issue du quartier Drouot. S’en suivent quelques kilos de poncifs, qu’elle trouve bien normalement légitimes, une approche de clichés et autres rumeurs qu’on lui a transmis, et elle a même lu récemment un article sur ce quartier qui a confirmé toutes ses craintes d’y passer, ne serait-ce qu’un instant, en voiture même avec toutes portes et vitres fermées à double tour.

- « …c’est normal que vous ayez de la place chez vous, vous êtes au Drouot, vous avez du mal à remplir votre crèche…et vous n’avez pas autant de moyens que d’autres en ville… », affirme-t-elle.

C’est sûr, si d’approcher ce quartier en voiture lui crée de véritables angoisses, si elle pense que notre maison doit être une forme de reproduction misérable du milieu ambiant fantasmé, y faire accueillir son bébé est bien plus qu’une gageure. On se situe dans le psycho-traumatisme d’une maman qui va abandonner aux hordes sauvages son enfant qui mérite tout de même mieux que cet avenir. Elle n’est pas née pour vivre cela. C’est évident que Roman Polanski a dû tourner son film « Rosemary’s Baby » ici et pas ailleurs. Ou alors n’est-ce pas Stanley Kubrick qui s’est inspiré du Drouot pour son film « Shining » ?

Nous on comprend. On écoute. Certes c’est violent pour des jeunes parents qui ont téléphoné à une trentaine d’établissements d’accueil de jeunes enfants sans obtenir de réponse positive, qui ont des opinions très arrêtées sur les quartiers périphériques et adoptées en l’absence d’informations suffisantes, articulées sur des mythes et des croyances, résultant d’une généralisation hâtive et médiatique, de n’avoir plus qu’un seul choix celui…d’accepter la proposition de Bab’ill.

Ne souriez pas, ayez un peu l’imagination fertile et vous voyez-vous, alors que vous avez réservé une suite dans un palace place Vendôme à Paris, que la seule solution qu’on vous propose pour passer la nuit est une chambre chez l’habitant, en HLM, à La Courneuve chez Monsieur et Madame ZAOUI. Et bien si vous avez des opinions défavorables sur cet endroit ou des préjugés sur ces hôtes en fonction de critères personnels ou d’apparences et bien…vous allez passer une sale soirée. Non ? Pour ces jeunes parents qui sont obligés de se rendre à Bab’ill pour y sacrifier leur fille, c’est pareil. Vous comprenez ?

Pourtant une chambre d’hôtes c’est super sympathique pour rencontrer les gens. Il faut l’avoir fait une fois pour l’apprécier. Et puis le 9.3 ce n’est pas forcément synonyme de violence ou d’agression, il a des arbres aussi à La Courneuve et puis quand vous aurez mangé les gâteaux de Madame ZAOUI qu’elle a fabriqué spécialement pour vous, bu son thé à la menthe qu’elle a posé sur son grand plateau en fer argenté dans le salon, écouté les histoires philosophiques de son mari qui vont de Ben Bella à Boumédiène et dormi dans des draps si frais qu’on pourrait se croire dans l’herbe vous oublierez la place Vendôme et découvrirez ce qu’on ne vous avait jamais montré, l’humain, les gens, les vrais gens, la vie. Et si vous accordez un peu d’importance à cette riche rencontre vos jugements préconçus, vos sentiments péjoratifs vont exploser en fines particules d’humanité nouvelle.

Mais où sont donc passés ces jeunes parents du début de cette histoire, post-traumatisés par cet accueil devenu obligé ? Vous demandez-vous.

Ici à Bab’ill et depuis presque quatre ans. Eux, leur fille et leur petit garçon qui est presque né ici. Pour rien au monde ils ne changeraient de crèmerie, la maman vient aussi en vélo quand il fait beau qu’elle laisse à l’entrée sans le cadenasser, ses enfants font des sorties dans ce quartier si verdoyant, si agréable à vivre, les rencontres se font dehors, dans les couloirs, les escaliers qui se remplissent de « bonjour ! » bien sincères, et notre maison d’une mixité sociale et culturelle qui fait plaisir à voir et à respirer. Ces jeunes parents reconnaissent que nous avons une belle maison et de beaux outils, que le quartier est un magnifique village et que nous faisons avec les enfants ce que peu font ailleurs.

Bab'ill ne serait-il pas un vecteur d’intégration à l’envers ?  

De cela nous en sommes persuadés depuis longtemps !

Depuis qu’on a mangé les gâteaux de Madame ZAOUI... 

Pascal Dehais

Et l'avenir en 2016 ?

L’année 2016 va être incertaine quant au nécessaire équilibre financier que nous devons avoir pour faire fonctionner nos deux sites. 

Bab’ill va devoir faire face à une baisse des produits et à une augmentation des charges : 

  • Baisse de 5% de la subvention M2A.
  • Baisse des fonds propres de la CAF du Haut-Rhin.
  • Du fait des nouveaux rythmes scolaires, plus d’accueil les mercredis matin (perte de 4.500 heures d’accueil) donc baisse de la prestation de service (près de 18.000 €).

Cumulés ce sont près de 50.000 € que nous n’aurons plus pour le fonctionnement de l’établissement en 2016.

De plus les charges augmentent : Les frais de Traiteur sont entièrement pris en charge par l’établissement, frais qui sont en nette augmentation (restauration écoles mercredi midi en très nette hausse), les produits d’hygiène (couches, produits de soins, etc.) sont à notre seule charge, les rémunérations des professionnels connaissent quant à elles une progression légale (ancienneté, valeur conventionnelle du point, etc.). 

Nous ne pouvons contraindre plus nos charges après avoir tant appliqué depuis des années une réduction importante de nos dépenses de fonctionnement (achats externes, fournisseurs, etc.). Il ne faut guère être expert-comptable pour comprendre que nous allons à court terme vers un évident déséquilibre budgétaire. Il faudra alors regretter amèrement, en l’absence d’une autre solution, que ce déséquilibre ne puisse être compensé que par la baisse de la masse salariale.

C’est-à-dire avoir moins de professionnels au service des enfants. Ceci entraînant cela : Si nous avons moins de professionnelles nous serons obligés de nous réorganiser et par évidence de fermer l’établissement quelques semaines par an. Etablissement qui est ouvert toute l’année depuis 20 années et qui accueille toute l'année :

  • Des enfants d’autres établissements, qui eux ferment l’été, 
  • Des enfants d’assistantes maternelles en congés annuels, 
  • Des enfants de parents qui trouvent un emploi saisonnier et temporaire, 
  • Des enfants de familles qui arrivent à Mulhouse et qui sont prises au dépourvu car l’accueil petite enfance au mois d’août semble totalement en veille, 
  • Des enfants suivis par des services sociaux ou médico-sociaux, 
  • Des enfants en adaptation progressive et bienfaisante qui vont être accueillis de façon permanente en septembre, 
  • Des enfants accueillis en urgence, 
  • Des situations sociales parfois compliquées, 
  • Des enfants pour plein d’autres raisons…
  • Et enfin nos enfants qui sont là toute l’année dont les parents reviennent de vacances et qui reprennent le travail en juillet ou en août.

Car en août, savez-vous, la vie continue… 

Bref, nous on veut bien être solidaires et participer à l’effort économique commun. Si tant est qu’il est vraiment commun dans tous les secteurs. Mais nous avons l’impression de rendre un service différent à la collectivité et nous ne comprenons pas pourquoi on applique une baisse de la subvention au seul établissement qui propose un service exemplaire et qui priorise dans la forme même de ses accueils autant d’ouverture. 

Il est à craindre que l’austérité crée de l’austérité. 

Il en va de même pour le secteur Animation qui du fait des nouveaux rythmes scolaires n’accueille plus non plus d’enfants les mercredis matins ce qui crée une nette baisse de la Prestation de Service CAF, moins de frais d’accueil payés par les familles et moins de Bons d’Aide au Temps Libre. Donc beaucoup moins de produits. Les accueils l’après-midi étant en baisse également, beaucoup d’enfants ne revenant pas après le temps d’école. Outre que la prise en charge éducative n’est plus du tout la même, plus de sorties découvertes en journée par exemple, la subvention Ville a connu aussi une baisse…

Alors nous ne savons pas vraiment à qui profite ces nouveaux rythmes scolaires. En tout cas pas à nos jeunes enfants de 3-4 ans accueillis à Bab’ill qui s’endorment, pour la première fois en 20 ans, dans leurs assiettes au repas du vendredi midi fatigués ne n’avoir plus ce répit du mercredi. Pas non plus aux enfants du secteur Animation qui ne font plus du tout ce qu’ils faisaient auparavant, enfants riches de propositions d’activités en journée, sorties nature, découvertes de nouveaux lieux, visites, ski l’hiver, natation l’été…C’est fini. Les loisirs, savez-vous, c’est important aussi pour ces enfants. 

Ce qui nous inquiète également est le projet de la M2A de centraliser dans un seul lieu, sorte de guichet unique en quelque sorte, toutes les demandes d’accueil des familles, et les inscriptions liées à celles-ci, dès que les accueils souhaités dépassent 15 heures semaine. Ce qui est chez nous la grande majorité des demandes.

En fait, on nous retirerait une partie de notre savoir-faire, l’essentialité même de notre savoir-être construit et acquis depuis des années : le premier accueil, la première relation, ce moment si important qui conditionne généralement la suite de l’accueil, ce qui a fait que depuis 20 années nous n’avons jamais eu de relations conflictuelles avec aucune famille. 

Car nous savons écouter, définir le vrai besoin, découvrir avec empathie une histoire familiale, s’écarter de tout jugement et tenter de trouver solution. C’est un vrai boulot de professionnel d’accueillir, où l’expérience relationnelle est de mise, où la connaissance socio-culturelle d’un quartier est primordiale dans la définition même de la relation duelle, voire même dans la façon de parler et de comprendre ce qui est dit, ce qui est posé, ce qui est réellement en jeu. C’est quasiment une approche systémique. L’inscription administrative n’est surtout pas chez nous la chose la plus importante. 

Mais les familles vont être appelées à se rendre dans un guichet unique où on leur présentera la « structure d’accueil » dont elles dépendent, on leur fournira peut-être plaquette d’information et autre règlement intérieur de cette même structure, on les avertira sur les assemblages et autres combinaisons administratives, et l’inscription sera transmise à la structure pour suite… A l’instar des procédures des inscriptions pour les écoles publiques. 

Très déshumanisant, et très loin de nos façons de faire et de notre fonctionnement. Il est évident que cela créera des méprises, des « pas entendus » et des « pas bien compris ». Notre fonctionnement, notre organisation atypique, notre philosophie de travail, le sens même de nos relations et de nos activités comment seront-ils transmis précisément ? Quelles réponses seront données face à des demandes particulières, face à la complexité de certaines histoires familiales ? 

Mais qu’il n’y est pas de malentendu : Nous sommes totalement en accord avec une centralisation des demandes car il est crucial d’en avoir une vision juste sur l’agglomération. 

Ce n’est pas de cela dont il est question. 

Mais s’il faut envoyer les familles vers ce lieu unique d’inscription nous le ferons. Bien entendu. Nous enverrons cette future jeune maman de 19 ans accompagnée de sa mère, bientôt grand-mère, qui furent pour l’une enfant durant 6 ans à Bab’ill et pour l’autre parent pour laquelle, durant des années, nous avons accueilli ses autres enfants. Elles ne viennent pas s’inscrire dans une « structure d’accueil » mais viennent dans l’autre maison de la famille. Que comprendront-elles de cette rupture relationnelle liée à d’autres façons de faire ? Et il y en a tant d’autres...Tant d'histoires à raconter.

On ne répétera jamais assez que c’est le premier accueil qui détermine la relation ultérieure.

Accueillir une famille ou la cueillir ? Telle est la question. 

Forts de nos engagements, et de nos valeurs, nous continuerons sur la même voie, de la même voix, à promouvoir l’éveil culturel et social de nos jeunes enfants dans une réelle coéducation avec leurs familles et à offrir un fonctionnement et une organisation atypiques profitant à tous, enfants, familles, à leurs vies et aux collectivités locales. 

Mais jusqu’à quand ?

Pascal Dehais

Aider à se créer

« L’enfant ne naît pas avec des organes tout prêts à accomplir les fonctions qui sont le produit du développement historique humain, ces organes se forment et se développent au cours de sa vie, avec son appropriation de l’expérience historique. Ainsi le cerveau contient-il virtuellement non telle ou telle aptitude concrète de l’homme, mais seulement l’aptitude à la formation, à la construction, à la création de ces aptitudes. Le problème des perspectives de développement psychique de chaque enfant est avant tout un problème d’organisation juste et rationnel du milieu où il vit. » (L.Leontiev).

Alors notre travail peut-il se faire de tous les enfants des inventeurs ou des créateurs ? La question peut encore faire sourire, c’est pourtant à celle qu’il faut s’attaquer de front si l’on veut en sortir. C’est qu’il n’est pas de problème plus important pour qui a pris conscience que c’est par l’activité créatrice que l’homme se construit, dans l’ouverture au monde et le mouvement même de la vie, que chacun n’est Que ce qu’il a crée pour soi et pour les autres en se réalisant soi-même. Mais dans ces conditions, il est clair qu’un  certain nombre d’opérateurs s’imposent. Et d’abord une opération de salubrité, consistant à dépouiller l’invention, la création de leur caractère mythique, de leur mystère pour en faire des objets d’investigation éducative et pédagogique. Il faut mettre en lumière le facteur de la créativité et déterminer les conditions dans lesquelles ces facteurs peuvent être créés et développés chez l’enfant. Il faut enfin étudier par quel processus on passe du potentiel au réel, de la créativité à la création, afin de munir au plus tôt les professionnels, réalisateurs de la création chez les enfants, de toutes catégories, des instruments d’une pédagogie authentique de l’expression créatrice.

C’est bien en pensant à notre environnement professionnel et social, par l’analyse des causes qui font parfois obstacle au développement de la créativité chez l’enfant – et donc plus tard chez l’homme – par la mise en œuvre d’une stratégie professionnelle analysée et distanciée que l’on peut fonder des bases solides pour une éducation d’une durable construction de la personnalité de l’enfant – et futur adulte – par l’expression créatrice.

Place à la créativité.

Tous les parents souhaitent que leur enfant soit créatif. Mais il n’y pas de recette simple pour y arriver. Le mystère de la création se cache ailleurs, un ailleurs qui revient aux parents ainsi qu’aux professionnels de créer.

Le mot « créativité » évoque en nous l’image d’un petit génie au don inné, mais le potentiel créateur est en chacun de nous. La créativité n’est pas le lot de quelques privilégiés qui ont hérité d’un don particulier, non, il s’agit bel et bien d’un des aspects du fonctionnement humain, d’une capacité partagée par tous. Nous serions donc tous doués pour la création ? Oui. Mais il nous appartient ensuite de faire fructifier ce potentiel. Pour les tout-petits, ce sont les adultes qui doivent relever le défi et inventer pour eux un environnement propice à l’épanouissement de leur créativité. La créativité est une aptitude innée de l’homme à créer de nouvelles combinaisons à partir d’éléments existants (mots, matières, sons, idées, etc.). La pensée créatrice serait donc une façon de se trouver au travers de supports. Il faut avoir une grande confiance en soi pour se jeter dans cette aventure. Il faut aussi avoir le goût de s’y lancer. Confiance et goût ne sont pas innés. Cette tendance naturelle à se réaliser nécessite des conditions favorables pour s’exprimer.

L’épanouissement de la créativité repose sur deux conditions : un climat et des ressources. Ces éléments font synergie, c’est-à-dire que l’un ne fonctionne pas sans l’autre. Pensons seulement à un enfant placé dans un climat aimant, chaleureux, mais où aucun objet ne viendrait stimuler son imagination. D’un autre côté imaginons un enfant entouré de toute une panoplie de jeux, mais où règnerait un climat réprobateur. Dans les deux cas, le processus de la créativité n’aboutirait pas.

Pour que l’enfant ait le désir de se dire, de se raconter et de pousser plus loin son exploration de lui-même, il a besoin d’avoir le sentiment qu’il est respecté dans son rythme d’apprentissage de l’auto-expression, accueilli dans ce qu’il est et assuré qu’on lui fait confiance, qu’il est capable et qu’il saura cheminer. Le respect, l’accueil et la confiance sont trois conditions qui permettront à l’enfant d’entreprendre l’aventure de l’exploration de ses possibilités et de découvrir le plaisir de l’expression.

La créativité de l’enfant aura le loisir de se manifester ou non selon que le professionnel adoptera des attitudes incitatives ou dissuasives. Il faut stimuler les talents et les ressources créatrices de l’enfant, créer des situations favorables qui l’amènent à extérioriser ses émotions, ses idées différentes, son rythme à lui. La rigueur, la résolution de problèmes, la coopération et le respect de la liberté sont des attitudes incitatives. Par contre le professionnel peut exprimer avec force des sentiments qui, à la longue, vont éteindre ou ralentir l’expression créatrice. Il faut par conséquent que le professionnel prenne conscience des pouvoirs qu’il possède et dont il peut user contre l’enfant plus ou moins consciemment. Parmi les attitudes dissuasives, susceptibles de briser l’élan créateur de l’enfant on peut retenir l’incitation à la compétition à outrance, l’information trop abondante et mal intégrée, le laisser-faire et l’autoritarisme, la dévalorisation, etc.

Les professionnels doivent respecter les conditions de ce développement s’ils veulent amener l’enfant vers la création. L’enfant doit avoir accès à une base sûre, une personne significative, sur laquelle il peut toujours compter. Il doit en plus pouvoir créer des liens affectifs avec son entourage, se créer un comportement d’attachement. La dynamique de ces deux conditions porte l’enfant vers l’exploration et le jeu, c’est-à-dire la créativité.

Le rôle du professionnel dans ce contexte est d’enrichir au besoin l’une ou l’autre des deux conditions. Par exemple, chez un enfant qui manque d’audace et de confiance en lui-même, cette base pourrait faire défaut. C’est alors que le professionnel encouragera l’enfant à agir, approuvera ses actes, lui donnera des marques de confiance ; le professionnel tiendra alors le rôle de « personne significative ». Si l’enfant est porté à s’isoler de ses camarades et/ou du professionnel, il faudra alors être plus en relation, l’aider à se joindre au groupe et à se faire des contacts pour promouvoir chez lui le comportement d’attachement. Ce sont là des attitudes très importantes pour le développement de la création chez l’enfant.

Respecter l’enfant dans ses capacités, choix, souhaits, avoir confiance en ses possibilités, lui laisser sa liberté d’action ; ce sont les valeurs importantes de créativité. Ces valeurs sont primordiales et constituent le fondement de la personnalité de l’enfant, le « nid » d’où il aura l’audace de se lancer, de se réaliser et de s’épanouir.

Pascal Dehais

Accueil des enfants de parents en difficulté

Dans une note récemment diffusée sur son site internet (www.hcf-famille.fr), le Haut Conseil de la famille fait le point sur l'accueil des enfants de parents qui recontrent des difficultés socio-économiques dans les établissements d'accueil du jeune enfant. Il y relève notamment que seuls 8 à 13 % des jeunes enfants les moins favorisés (au regard des revenus des parents) fréquentent un mode garde non familial (EAJE) contre 56 à 68 % pour les enfants "les plus aisés". Toutefois, les publics ayant fait l'objet de recommandations particulières de la part des pouvoirs publics (enfants de familles monoparentales, de demandeurs d'emploi ou de bénéficiaires de minima sociaux) sont plus fréquemment présents dans les établissements.

Pascal Dehais

L’éthique, est-elle une compétence professionnelle ?

Parlez d’éthique ce n’est pas parler de déontologie ou de morale, c’est s’occuper de la question de l’acte : qu’est-ce qui le fonde, comment s’y repérer. C’est bien la question que chacun se pose dans sa pratique : est-ce que j’agis en tant que citoyen, en tant que professionnel, en tant que sujet avec mon histoire et mes fantasmes ?

Pour aborder cette question il est décisif que la déontologie et la morale soient séparées de l’éthique. En effet, la déontologie, étymologiquement  science des devoirs,  n’a été utilisée que pour qualifier les règles et les devoirs, implicites ou explicites, liés à l’exercice d’une profession.

Toute profession impose des devoirs à ceux qui la pratiquent, toute profession a donc, au sens large, une déontologie.

La morale est un ensemble de règles de conduite, de relations sociales qu’une société se définie et qui changent selon la culture, les croyances, les conditions de vie et les besoins de la société. Cela s’applique à des problèmes communs. La morale, les valeurs, sont des entités communes, des concepts collectifs. Notre morale, nos valeurs avec lesquelles on travaille, sont inscrites dans le temps au travers de notre projet d’établissement par exemple. C’est le cadre. A partir de ce cadre, admis ou pas, on travaille. On travaille en se basant sur une « façon de voir » la morale d’une institution ou d’une association et  sur un  « savoir –faire » cadré par le projet et donc par  les valeurs professionnelles. Mais ce travail peut être mis en œuvre de façon diversifiée. Mis en œuvre ou non. Là apparaît alors la notion de l’éthique et pas avant.

L’éthique, par contre, est un concept beaucoup moins précis. Il vient depuis quelques années au devant d’une scène sur laquelle s’est épuisée sa cousine germaine : la morale.

L’éthique est alors les conduites de chacun relevant ultimement de leurs seules consciences mais se basant sur les codes moraux, sur la morale.

La morale véhicule, pour ce qui la concerne, un aspect d’obligation. Elle s’impose en quelque sorte aux êtres humains au nom de valeurs universelles qu’il convient de servir. La morale est connue pour servir aux pouvoirs, alors que l’éthique reprend les choses du point de vue, non de la culture ou du pouvoir, mais de l’existence même de l’humain. L’éthique s’enracine dans le désir de l’être. Elle répond à la question : comment vivre ? Elle est donc le fruit d’un choix, mais d’un choix personnel, intime, et incarne une indéniable liberté.

L’éthique est donc une représentation, ou mieux une conception, de l’organisation, de la mise en œuvre des rapports humains.

Comme moi, vous avez dû remarquer dans la presse et dans les médias une recrudescence de dossiers, articles, rapports, sur tout un ensemble de malversations de haut niveau où grands chefs d’entreprises ou autres politiques sont impliqués. Aujourd’hui même on licencie dans des entreprises qui font d’énormes bénéfices, on paye des bonus aux grands dirigeants de grands groupes qui eux perdent des fortunes, des dividendes aux actionnaires de sociétés ayant reçu des aides issues de la poche des contribuables. Tous les jours on monte d'un cran. Comme si notre société ne pouvait plus fonctionner sans tout cela. Pourtant des codes, des lois, des droits et règles existent, entendre la morale. Alors, pourquoi on arrive à tout cela si ce n’est parce que l’éthique est absente. L’éthique en effet n’est pas la morale mais elle s’y réfère.

Personnellement je pense que l’éthique peut aussi bien, sinon plus parfaitement, s'exprimer dans la vie professionnelle que familiale. Car en famille, passez-moi cette pensée, on peut faire et dire ce que l’on veut, on peut construire ou détruire comme on le souhaite même au nom de la morale. Dans la vie professionnelle, un cadre existe, des règles et… une rémunération. Ceci  implique tout à fait autre chose. Pourtant la notion d’éthique demeure difficilement mesurable.

Certains managers, qui apparaissent de plus en plus dans le social et médico-social, prétendent pouvoir mesurer l'éthique dans la vie professionnelle, comme si d’autres pouvaient mesurer le bonheur, le désir ou l’amour entre deux personnes. Je crois qu'ils ramènent en fait une réalité bien impalpable - c’est quoi l’éthique - et à des critères métriques qui, par définition, limitent la réalité de la chose mesurée. Je m'explique ! Comment voulez-vous que la confiance que l’on doit avoir en l’autre, même différent de moi, confiance qui me semble être une valeur parfaitement éthique, soit cantonnée à un système métrique, comme un pourcentage ou une statistique. J’ai lu dans la presse récemment, je cite : « La confiance des employés a gagné 3 points cette année ; 37% des jeunes embauchés ont confiance en leur DRH ». Et alors ? Mais de quelle éthique parle-t-on ? Veut-on nous faire croire, au travers de pourcentages, que les gens sont heureux ? Peut-on encore mesurer l’éthique des professionnels d’un établissement d’accueil pour la petite enfance par un ratio ou un taux d’occupation ? Un bon taux, un bienveillant ratio, un coût moyen satisfaisant expliquent-ils à eux-seuls une qualité d’accueil, une bientraitance, un projet ?

Peut-on mesurer par un chiffre, une moyenne, les capacités d’un établissement à innover, à initier, à gérer la crise auprès des plus démunis, à accueillir, à stabiliser la vie des autres et à créer du lien social ? Doit-on se perdre en recherche alors que tout ceci justement ne semble plus peser très lourd dans la balance du « Marché » aujourd’hui ?.

Mais l’éthique n’est pas mesurable. Dommage pour certains, heureusement pour d’autres. On peut mesurer, évaluer par la lecture de mots ou de chiffres, une direction pédagogique associative, les orientations d’un établissement, mais est-on sûr qu’une éthique est présente au sein de leurs fonctionnements ? Comment en effet repérer celle-ci ? Est-ce que cela veut dire que l’éthique ne peut se situer dans le collectif mais qu’elle va se ficher plutôt dans un cadre très personnel, plus inaccessible, parfois impénétrable et intime ? A ce sujet Jacques LACAN forgea pour désigner l’éthique, un néologisme à partir d’intime et d’extérieur, qui l’appela : extimité. C’est mon intime qui crée l’environnement que je souhaite.

Vous l’avez peut-être remarqué, ces questions d'éthique sont à l’ordre du jour un peu partout et on en fait n’importe quoi. Le terme d’éthique devient parfois d’un usage galvaudé. Dans le domaine du travail social on use du terme à tort et à travers, il peut parfois même servir d’ultime recours lorsqu’on n’a plus grand-chose à dire. C’est sans doute le cas quand, à bout d’arguments, on invoque la formule magique : « mon éthique me l’interdit ». Dès qu’on ne sait plus comment avancer dans une maison d’enfants on sort du chapeau la question d’éthique. Dès qu’on n’arrive plus à définir le pourquoi de tel ou tel autre problème, on parle d’éthique ! Dès qu’une organisation tourne à vide on brandit l’éthique comme un sujet salvateur. Dès qu’une Direction s’embourbe, elle sort le sujet phare, « et votre éthique alors ? »...Un charabia et des jargons rendent la chose bien complexe. On abuse parfois de mot-valise et d’acronymes approximatifs pour masquer la complexité réelle du sujet et parfois le peu de connaissance que l'on a de celui-ci. Au point que je m'autorise à vous remettre en mémoire une définition toute simple de l'éthique, qui est : « la réflexion relative aux conduites humaines, aux valeurs et à la morale qui les fondent ».

D'autres, avant l'Académie Française, avaient évidemment qualifié notre sujet avec brio.

Je me réfère juste à ce bon vieil Aristote qui dans son ouvrage d’éthique philosophique (Ethique à Nicomaque) aidait à se demander comment agir pour obtenir le bonheur. Pour Aristote, l'éthique était la science qui s'attache à l'étude des actions humaines, en vue d'établir une doctrine du bonheur.

Ainsi, l’homme bon est celui qui réalise bien sa fonction. Il s'agit donc de devenir véritablement un être humain, c’est-à-dire développer ce qui, en moi, fait qu’on peut me reconnaître comme faisant partie de la communauté des êtres humains. Or, l’éthique est ce qui définit l'homme en tant qu'homme.

L’éthique, loin des définitions « psychanalisantes », définitions intéressantes, intelligentes mais un peu, il faut le reconnaitre, hermétiques pour tout un chacun, ne pourrait-elle pas alors être un état durable de plénitude et de satisfaction, un état agréable et équilibré de l’esprit et du corps d’où la souffrance, l’inquiétude et le trouble sont absents. Le bonheur.

C'est cette vision, et pas une autre, que je souhaite partager avec vous.

Je crois que l'éthique professionnelle peut conduire au bonheur, et j'aimerais vous expliquer ce qui m'amène à le croire.

Qu'adviendrait-il si les professionnels n'avaient pas (ou plus) d'éthique. Le boulanger ne rendrait pas la monnaie, le peintre ne passerait qu'une couche de peinture, le politique userait de mots à double sens, le chef d'entreprise userait des biens collectifs à des fins personnelles, l’éducatrice ne changerait plus les couches des enfants ?

La situation ne pourrait pas durer longtemps. En effet, le monde est fait de telle manière qu'à long terme la malice ne porte pas de fruit. Le professionnel qui tenterait d'échapper à cette loi fondamentale et voudrait tirer profit de sa mauvaise conduite, celui-là n'irait pas loin dans la vie, voire dans sa vie.

Il ne serait pas heureux tout simplement.

Mais quelle est donc cette éthique professionnelle qui conduit au bonheur ? Où se situe-t-elle ? Qui la vit ?

Je vous invite, en vous posant ces questions, à réaliser que l'éthique, avant d'être une science dont on parle de manière parfois un peu conceptuelle, est une expérience que l'on vit aux travers d'actions et de sentiments biens réels. L'éthique, c'est la confiance et l’inévitable plaisir que nous avons à être, à connaître et à faire dans notre domaine professionnel.

L'éthique, c'est la manière d'être, la bonne attitude, l'intention qui compte et les actes qui suivent la parole. L'éthique professionnelle, c'est tout ça à la fois dans un contexte professionnel. Et vous vous rendez bien compte que pour être vécue au travail, cette éthique doit d'abord être vécue personnellement. Pas d'éthique professionnelle sans éthique personnelle.

L'éthique professionnelle est tout simplement cette éthique que vous appliquez à pratiquer personnellement, parce que vous y voyez le bien, pour ensuite l'exprimer dans votre travail et dans vos activités sociales.

L'éthique professionnelle, c'est d'abord un engagement personnel, l'engagement de faire du bien autour de soi. De ne créer aucune violence. C'est un engagement auquel vous tenez sans doute parce que vous l’avez choisi, en travaillant auprès d’enfants et que l'expérience vous a montré qu'il vous apportait du bonheur. En fait, en choisissant le bien comme fondement de tous vos actes, vous réalisez que l'homme est fait pour tout ce qui est bon, bien, vrai et beau... C’est çà l’éthique. L’éthique n’est pas un jeu, un faux semblant, l’éthique c’est un truc à soi. A soi, seul. C’est la recherche d’un plaisir à être, à vivre avec, avec des enfants et des adultes, à les observer, à créer. Sans cette notion de plaisir, de bien-être, de satisfaction et de contentement, l’éthique s’échappe des relations. Sans plaisir, donc sans éthique, pas d’issue.

Travailler sans éthique peut être une forme de maltraitance dans notre secteur d’activité.

Je vous laisse simplement contempler ces mots et les laisser résonner (raisonner) en vous. Mes propos ne sont pas de vous faire rentrer de manière intellectuelle dans ce sujet profond, mais plutôt de vous laisser percevoir des choses qui vous sont naturelles au fond sans que, pour autant, les mots pour les dire viennent aisément !

Faire du bien autour de soi. Quelle gageure ! Oui, il faut du courage pour être fidèle à cet engagement dans son travail. La compétition est rude, l’économie  est tendue, le budget est serré. Soit ! Mais doit-on arrêter de faire du bien autour de soi ! Rien de bien complexe en fait. Juste une parole, un regard, un sourire, une réflexion, donner du sens à l’action, donner un sens à son comportement, à ses attitudes, à ses propos. Ces trésors ne coûtent rien. Et pourtant, appliqués à la vie, professionnelle, je puis vous garantir qu'ils vont nous faire gagner beaucoup... et tout le monde en sera plus détendu. Mais il faut se garder d’en faire trop évidemment.  L'artifice passe mal. Trop de naturel aussi parfois. Il faut donc trouver  le juste équilibre. Le bon sens,  le bon sens et l’intelligence.

Voilà peut-être la chose la moins bien partagée par tous. Eh oui, les gens s'emportent, ils se laissent aller. Soit à s'inquiéter de leur propre dessein, soit à s'exaspérer du comportement qu'ils prétendent que « les autres » ont à leur égard. Un peu de bon sens me paraît dans un contexte professionnel  un remède bien simple pour s'éviter bien des tracas. Non, je ne me m'égare pas en élucubrations philanthropiques. Je souhaite humblement vous montrer une autre facette de cette éthique vécue au quotidien. Fernand DELIGNY, éducateur et référence majeure de l’éducation spécialisée, qui a créé dans les années 60 un lieu de vie très atypique pour de jeunes autistes aux conduites extrêmes soulignait à tous les postulants éducateurs : « Quand tu es là, avec eux, habitue toi à voir les choses gaiement, à laisser tomber ton conformisme, à vivre avec l’autre des expériences différentes et enrichissantes, laisse orgueil, fierté, arrogance aux autres, découvre toi, enfante-toi et libère toi des carcans que tu as seul fabriqués, ne sois pas toi, sois quelqu’un d’autre, réfléchit et réfléchit encore, donne du sens à ce qui se passe, communique, partage et sois loyal et tu te trouveras que rarement dans de grandes difficultés. Le bonheur à être là, le plaisir à être avec, à les accompagner et à les comprendre est à ce prix. Découvre ton éthique. Si tu ne peux y accéder ce sont eux qui te feront aller ailleurs ». J’apprécie à juste titre cette phrase qui résume bien l'état d'esprit propre à l'éthique professionnelle.

Oui, car c'est cela aussi d'être un bon professionnel. C'est être capable d'apprécier à leur juste valeur les circonstances dans lesquelles vous vous trouvez. L’éthique est une philosophie de l’action particulièrement précieuse pour nous puisqu’elle mobilise un questionnement critique permanent sur soi, donc sur sa pratique. C'est pouvoir jauger avec pertinence la criticité d'une situation dans laquelle vous êtes engagées. Maîtrisez votre inquiétude si vous vous apercevez que quelque chose n'est pas dans l'ordre. Gérez vos propres réactions si vous voulez prendre la bonne décision. J'ai bien conscience que ce conseil, plein de bon sens, peut paraître difficilement applicable pour tous dans certaines situations. Mais sachez que l’irritation interne, la suffisance et le mépris sont toujours mauvais conseillers ! Eh bien, je vous le demande : croyez-vous que cette attitude soit l'expression d'une éthique professionnelle ? Personnellement, je ne le crois pas.

Certes, il peut advenir qu'une colère porte parfois de bons fruits. J'en conviens. J'insiste simplement sur le fait que la maîtrise de soi est une composante essentielle de l'éthique.  Comprenez-moi : ce contexte là, ici, est le meilleur qui soit pour découvrir ce qu’est l’éthique. Ce que je veux vous faire entendre, c'est que la maîtrise de soi, de ce que nous sommes, est essentielle. Nos pulsions, nos habitudes sociales et culturelles, notre propre éducation, celle que l’on transmet à nos propres enfants, nos façons de faire familiales et générationnelles n’ont rien à faire ici et demandent un vrai travail personnel pour arriver à des attitudes éthiques et un entraînement de chaque instant pour veiller en temps réel à poser la bonne action au bon moment. Point d'introspection ici, d’analyse ou de psychanalyse. Je dis juste qu'il me paraît éthique de mesurer ses gestes, de pondérer ses propos, de canaliser son énergie et de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de... garder le silence s'il le faut. L’éthique devient alors, et je réponds à la question de l’ordre du jour, une réelle compétence professionnelle. Si le sujet est bien l’enfant, si votre présence est justifiée par lui, et que par lui, il n’y a aucune raison qu’il se passe parfois des phénomènes qui m’interrogent. Oui, j’affirme que sans éthique on ne peut travailler correctement. Sans ce bonheur à être, que nous sommes tous à rechercher notre vie entière, on ne peut se réaliser et réaliser les autres, entendre les accompagner. J’irais même plus loin, sans éthique personnelle on ne peut que travailler à un environnement de douce violence institutionnelle sans s’en apercevoir. L’éthique, la recherche du bonheur, doit être appliquée au quotidien et je vous assure que c’est un magnifique moyen pour être bien avec les autres, enfants, familles, et un outil - dans le sens qu’un outil sert à travailler et à produire - dans la communication, les relations entre nous ou entre vous.

J’ai envie de dire que la morale c’est bien, il en faut, mais on est toujours entre le bien et le mal, dans des valeurs normatives, entre ce qui est et ce qui doit être, il n’y pas la place forcément pour l’être ou pour être, alors que l'éthique cherche seulement à améliorer le réel par une attitude raisonnable, réflexion, intelligence, tolérance, compréhension,  discernement, de recherche du bonheur de tous. Cela peut faire sourire, mais le sentiment d’éthique quand on y accède permet de trouver apaisement et satisfaction à travailler pour soi et pour tous. C’est un puissant neurodépresseur, un tranquillisant contre la routine et l’épuisement.  Car ici on travaille pour soi, mais avec et grâce à tous, chacun à sa place et à son niveau. C’est cette communauté qui permet à chacun de vivre, donc c’est cette communauté qu’il faut tenter de respecter. C’est une recherche permanente d’attitudes de recherche-action et de qualité du travail  qu’il faut effectuer. N’est-ce pas là le premier travail sur l’éthique qu’il nous faut réaliser ?

J’achève mes propos en vous transmettant la phrase la plus courte du monde qui explique, certes en partie, ce qu’est l’éthique personnelle : « Que veux-tu faire dans ta vie, ou que veux-tu faire de ta vie ? ». Tout est là.

Pascal Dehais

Taux de remplissage

Nous avons reçu un courrier concernant une formation sur la mise en œuvre de la PSU organisée par le CG68, la CAF68 et le CFEJE de Mulhouse.

Mais à la lecture du document nous avons été, une fois encore, très surpris par un terme qui ne cesse de s'installer dans notre secteur d'activité et nous regrettons que nos vocabulaires d'éducateurs, voire nos valeurs, soient remplacés par des termes d'entreprise dont plus personne, ni même les responsables de l'action sociale et des formations des futurs travailleurs sociaux, n'en contestent l'usage :

 « ...optimiser leur taux de remplissage… » (optimiser les taux de remplissage des structures. ndlr).

 Aïe !… Il y a des termes qui sonnent mal dans des oreilles d’éducateur. Remplissage, bourrage, garnir le vide et les creux, saturer, augmenter le volume… Et la matière utilisée pour constituer un bon remplissage est laquelle ? Les jeunes enfants ? J’espère qu’on ne parle pas des enfants dans cette phrase ! Mais de qui ou de quoi parle-t-on alors ? Pouvons-nous, puisqu’on nous oblige, devenus entreprises de services, à posséder des termes techniques et déshumanisants résister et re-parler enfin d’accueil ou préférons-nous plutôt se cacher sous un terme anglais si cher aux entreprises ?

Filling up. Ce n’est pas si mal. Cela évitera de faire un lien, définitivement, avec nos relations avec les enfants et ne viser que les concepts de rentabilité...Ouf !

Mais où sont-ils passés les DELIGNY, BETTELHEIM, KORCZAK, MAKARENKO, MONTESSORI, OURY, PIAGET, WALLON, WINNICOT, DOLTO ?

Dans les Maisons Vertes de Dolto financées également par des fonds publics parle-t-on comme cela, de taux de remplissage ? Sûr que non.

Mais vers quoi nous entraîne-t-on ? Vers quelle société ?

Pascal Dehais

Ces familles qui nous heurtent

Je fus lors d’un dernier collectif Petite Enfance proposé par la M2A très surpris, voire choqué, par des propos de professionnels concernant tant le mode opératoire des inscriptions que sur les familles qui sont accueillies (la famille on "la cueille" ou on l'accueille ?).

Tout le monde sait que la gestion des inscriptions est très complexe et qu’elle relève bien souvent d’un jeu d’équilibriste. J’ai eu un peu l’impression, mais vous pourrez me démentir, que les difficultés rencontrées dans cette gestion, qui sont « nos » difficultés,  ont été un instant portées vers certaines familles, diminuant ainsi quelque peu nos responsabilités. Ai-je entendu que nous pouvions avoir comme seule vision de l’autre (la famille) de temps en temps, la vision d’un simple « usager » irrationnel dans ses attitudes (il ment, il fait des choses que je n’accepte pas, qui sont anormales, inadmissible…) et calculateur  (il essaye de nous utiliser) ? Je ne nie pas ces comportements, nous y avons à faire souvent. Mais peut-on en parler autrement ?

Je vous livre, pêle-mêle et surtout sans emballage, ma réflexion.

Ces familles qui nous bousculent et qui nous heurtent nous transmettent leur souffrance pour obtenir l’aide à laquelle elles aspirent. Contourner nos demandes, nos règles, modifier leurs engagements, adapter la réalité ne sont que des reflets de cette même souffrance. Quand on va bien, quant tout marche correctement on fait envie et on obtient généralement ce que l’on veut en fonction de ses besoins. Question d’appétence. Mais quand de faire envie ne fonctionne plus, il ne reste plus qu’à faire pitié ou à heurter. Il est alors plus difficile pour le professionnel de se mettre à la place de l’autre quand celui-ci n’a justement pas de place et n’a rien de narcissisant, ni de valorisant pour lui et surtout pour nous. On préférera le parent qui respecte nos « exigences » (nos fantasmes de pouvoir sur l’autre), notre projet d’établissement  et qui en plus nous remercie, au parent qui contourne ceux-ci et qui n’offre rien en retour. Là on touche à l’impossibilité pour certains parents à être dans une relation à l’autre. Alors comment réussir à redonner à l’autre l’envie de créer une relation, comment l’aider au travers de la prise en charge de son enfant alors que l’autre est fatigué d’être soi ? A force d’être épuisé d’avoir à toujours se reconstruire et s’assumer, qu’il n’en peut plus de ne jamais être à la hauteur et qu’on ne cesse de lui répéter dans nos établissements ? C’est sa capacité à être sujet que nous blessons directement parfois par nos attitudes et nos propos. Face à nous – ceux qui savent- il n’est parfois rien. Même plus père, même plus mère comme si leur autorité et histoire parentales s’arrêtaient à la porte de nos maisons…

L’absence de considération et de reconnaissance intervient dès lors que l’on perçoit autrui dans une quelconque différence qualitative avec soi-même,  alors que ce que nous partageons avec l’autre, qu’il soit honoré ou dégradé, c’est justement la même humanité.

Pour s’aider dans la gestion des inscriptions et des accueils, à l’inverse de systèmes administratifs, de calculs infinis, de projections inutiles, ne faut-il pas s’inviter plutôt à opter pour la sollicitude, cette posture qui consiste à se laisser affecter et bousculer par l’autre, à se laisser pénétrer par autrui et sa différence, sa fragilité, sa faiblesse. C’est parce qu’il se sentira accepté dans son altérité que l’autre s’identifiera comme sujet dans sa relation à nous. Pour cela il faut arrêter toute interprétation et donc ne pas chercher à identifier l’autre à soi, prendre de la distance avec ses états émotionnels, culturels, éducatifs, familiaux, croyances et ne surtout pas penser que soi s’est toujours mieux que l’autre.

Il faut aussi s’éloigner de son orgueil, de cette opinion très avantageuse, le plus souvent exagérée, que l’on a de sa valeur et de ses capacités personnelles aux dépens de la considération due à autrui. Le manque ou l’absence d’humilité conduisent le plus souvent vers des fantasmes de pouvoir sur l’autre (il doit faire ceci, cela, sans que l’on sache vraiment pour quoi ou pour qui…) et vers d’inévitables conflits.

Se mettre tout le temps à la place de l’autre (je sais ce qu’il lui faut, il doit agir comme cela, moi je ferai cela…) est un « jeu » compliqué et dangereux. L’autre s’y sent incompris dans sa problématique qui nous échappe totalement et généralement cela peut le rendre…agressif. Quant à nous, nous croyons l’avoir compris, avoir décodé ses attitudes mais nous ne saisissons que de l’illusion…ce qui en découlera sera donc inadapté. En plus nous nous chargeons d’un poids qui ne nous appartient pas : faire de la vie de l’autre un modèle de la sienne (il doit adhérer à ce que nous pensons de bon pour lui, sinon il n’est pas accueilli…) !

Nous pouvons faire beaucoup mieux en nous ouvrant simplement à l’autre et faciliter ainsi notre quotidien dans cette gestion immaitrisable que sont les inscriptions et autres accueils.

Plutôt que de nous mettre à sa place, d’être sûrs de posséder la vérité (stéréotypies issues d’un fonctionnement immuable connu et rassurant construit au fil des années), nous pouvons mettre du soin à l’entendre exprimer ce qu’il ressent, pense ou vit à la place où il est et dans son histoire. En laissant notre imaginaire et nos hypothèses de côté, nous pourrons mieux le comprendre, l’autre qui n’est pas moi.

C’est peut-être, et en partie,  dans cette vision plus libérale de l’autre, plus anti-conformiste, qu’il  faut trouver moyens et outils dans notre problème, bien réel, de la gestion des inscriptions.

« L'autre existe avant même que je m'approche de lui, il est marqué par une histoire personnelle inconnue de moi ; il est inséré dans un tissu de relation qui exigent de lui des comportements dont j'ignore le sens ; il est contraint de jouer dans la société un rôle qui le montre et le cache tour à tour. Si je souhaite le rencontrer, je dois tout d'abord ne pas toucher arbitrairement à cette complexité qui m'échappe pour ne retenir que tel ou tel côté de son visage. En un mot, je dois lui permettre d'exister devant moi tel qu'il est sans prononcer de jugements hâtifs, sans lui imposer les normes de mes idées préconçues ou de mon système d'interprétation, sans chercher à le faire entrer dans mes projets, mes préoccupations ou mes désirs». (François ROUSTANG Philosophe et Psychanalyste.)

Pascal Dehais

Égalité des chances

Il ne peut y avoir ni vraie liberté, ni justice dans une société, si l'égalité des chances n'y est pas réelle ; et il ne peut y avoir d'égalité, si tous ne peuvent obtenir les mêmes droits et acquérir cultures et apprentissages sur les objets et postures dont la connaissance est nécessaire à la conduite de leur vie future. Ceci est valable également pour notre secteur d'activité car s'y jouent des enjeux très importants qui sont capitaux pour l'avenir même de notre société. On sait bien, pour le jeune enfant, que la qualité de son environnement et des interactions avec son entourage au cours des premiers mois de sa vie ont un rôle décisif sur son développement, voire sur son comportement. Tout le monde le sait, et tout le monde semble d'accord.
Mais de quoi parle-t-on exactement ?

Face à la pression de la demande sociale, et politique, nous assistons à quoi ? A l'émergence de solutions alternatives « à tout prix » et parfois inacceptables, telles que l'élargissement de notre secteur à la Directive « Services », des décrets qui forcent nos établissement à accueillir plus avec les mêmes moyens, des entreprises à but lucratif à qui l'on « confie » bien volontiers, et de plus en plus de façon décomplexée, la « garde » des enfants, entreprises qui visent un impératif de rentabilité financière (s'il n'y avait rien à gagner y iraient-elles en effet ?), qui pratiquent les accueils de l'enfant en rapport avec le statut social et professionnel des parents, qui mènent une politique de rentabilité mettant peu l'accent sur l'intérêt supérieur de l'enfant, tout ceci organisant une réelle marchandisation de l'accueil et favorisant le développement d'un système à deux vitesses renforçant les inégalités, l'isolement et ordonnant une rupture avec le principe de solidarité, fondateur de la vie en société.
L'accueil de l'enfant est un droit inconditionnel, quelle que soit la situation des parents sur le plan financier, de l'état-civil, en matière d'emploi, quels que soient ses besoins spéciaux, son origine ethnico-linguistique, ses handicaps éventuels. L'accueil de la petite enfance devrait être un droit social reconnu comme un service d'utilité publique excluant toute forme de marchandisation de ce secteur.
Reconnaît-on vraiment les rôles éducatifs et de prévention essentiels joués par l'accueil de la petite enfance, lui accorde-t-on une place d'importance égale à celle octroyée aujourd'hui aux autres lieux d'éducation et de socialisation, comme l'école maternelle par exemple ?

Verra-t-on un jour des P.M.E. à but lucratif ouvrir des écoles maternelles ? Certes pas ! Personne ne serait d'accord, parents, enseignants, élus... Mais alors pourquoi l'autorise-t'on pour le secteur de la Petite Enfance dont tout le monde reconnaît son rôle décisif ? Telle est la question.

Alors si le premier pilier doit reposer sur une conception de la petite enfance basée sur le principe de l'égalité des chances considérant les choix et directions actuels, il y a matière à se poser des questions et à demeurer perplexe.

Pascal Dehais

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